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FEUILLETON – PRÉBENDE #6 – ANTOINE DUFEU

Du 01 déc. au 31 déc. 2021 Online

Antoine Dufeu est auteur associé au CNEAI = depuis novembre 2020. Dans la rubrique FEUILLETON de la newsletter du Cneai, il vous invite à lire des textes en cours d'écriture et des textes inédits. Prébende est le titre d’un livre en cours d’écriture repris ici par opportunité.

Avec  Antoine Dufeu

I) La majeure
Un extrait de Blanchiment (en cours d’écriture)

Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle a
écrit parfaitement: « Tout ce qui n’est jamais sanctionné est véritable-
ment permis ». C’est faire du verbe permettre et du champ lexical
qui y est associé une horreur que de laisser les dirigeants d’entreprises
faire si souvent n’importe quoi à l’égard des salariés. Il y a eu certes
quelques procès retentissants dont le plus emblématique est celui de
France Telecom mais combien de dirigeants de centaines d’entreprises
de toutes les dimensions, certainement pas fantomatiques, de la TPE à
la multinationale en passant par la PME ou la PMI dérogent-ils sciemment
et méthodiquement au droit du travail, méprisent la législation. Une
rhétorique raffinée octroyée par la succession des pouvoirs en place
s’est régulièrement enrichie autour de la thématique du licenciement
ou de l’amélioration des performances des entreprises: procédure de
sauvegarde, accord de performance collective, procédure de con-
ciliation, plan de sauvegarde de l’emploi alias PSE, rupture con-
ventionnelle collective, plan de départ volontaire mais bizarrement
ce sont systématiquement les directions qui sont à l’initiative toute
volontaire et dirait-on accessoirement courageuse du déclenchement
de ces plans en un mot comme en mille sociaux. On se demande
souvent si les gens vont parler, faire ou dire quelque chose et
ne pas se rendre à l’évidence d’aller consulter tôt ou parfois
contraints et forcés tard la médecine. Mais rien n’y fait. Un dialogue
social à sens unique est substitué au Code du travail à coup de dé-
bauches aux motifs financiers. Tout contrat de travail est placé sous
la coupe de cabinets par lesquels avocats ou avocates sont rétribués
par des entreprises qui les sollicitent afin qu’icelles puissent accroître
leur rentabilité ceux-là assortissant leurs services de conseils juridiques
savamment orchestrés par des lois d’orientation votées sous la pression
des plus influents ou des plus puissants au détriment du tout-venant que
l’on a présentement nommé Arthur Gonzalès-Ojjeh, Ellen Bretton-Woods
and Co. et que l’on nommera au gré des circonstances et des situations
Roberto Escuelos ou Daisy Belle car faute d’avoir encore une idée de la
citoyenneté les sièges des assemblées politiques deviennent des places
inamovibles qui sont occupées par ce que l’on peut appeler sans se
gargariser ou se donner un genre, des lobbyistes. En même temps,
apprend-on aux policiers et aux policières autres que municipaux et
municipales à viser les pieds ou les jambes plutôt que le torse ou la
tête de même qu’à former des cercles concentriques et autres figures
géométriques de défense active? Manifestement pas.

II) Le mineur
Un extrait du « Livre V » (en cours d’écriture)

Fait expresse et expressément obturé à la vue de tout un chacun
le Traité des contrats que Pierre de Jean Olivi — PDJO pour les
intimes — a rédigé à Narbonne (France d’aujourd’hui on est en
l’an 2021) ne sous-entend pas que les volumes seraient de l’ordre
de la nature et les prix tellement artificiels. Il y pose au demeurant
de singulières questions par exemple la troisième de la première
partie qui est intitulée « Des achats et des ventes » savoir si en
raison d’une disette ou d’une pénurie générale ou individuelle, le
prix des biens peut être augmenté. Il y discute de prébende, de
simonie ou d’usure. Il lui arrive de comprendre parfois le verbe
« vendre » au sens de fournir quelque chose afin de recevoir un
équivalent. À propos des contrats usuraires, il avance que vendre
ce qui n’existe pas ou vendre deux fois la même chose constitue
une iniquité flagrante. Il observe que peu de personnes sont dis-
posées à prêter sans l’espoir d’un bénéfice temporel, qu’importe
la gloire serait-on tenté de commenter. Avant cela il se demande
par la question huitième si, pour un prêt qui a été fait, recevoir
davantage que ce qui a été prêté est contraire au droit naturel
et divin. Il observe plus loin que l’oppression impie du pauvre est
contraire au droit naturel (mais l’oppression n’est-elle pas uniment
et de manière rédhibitoire antithétique au droit?). Quant à l’interrogation
il y répond dans un premier temps par la négative car il est équitable
et licite de rendre un service pour une service et une faveur pour une
faveur le tout assorti d’une pacte parce qu’il est question de bienfait
équivalent (mais que serait un méfait ou un mal-fait équivalent? et
ne tient-on pas par-ci par-là les prémices d’un good- voire d’un
bad-will?). Il n’hésite même pas à invoquer la gratitude lorsque
un cadeau modique ou un menu présent remercie d’un prêt fait.
Prêter à intérêt est présenté comme une permission divine par
recours au Deutéronome 28 et encore au Deutéronome 23 où
il est établi qu’il est permis de prêter à usure non point à son frère
mais à l’étranger. Ambroise lui-même en sa Cause 14 question 4
prône d’exiger l’usure de celui à qui on désire nuire à bon droit.
Quant à l’interrogation finalement il y répond par la positive on
l’aura compris en raison de l’autorité de l’Écriture.

Infos pratiques

{Le 1er décembre 2021 pour fêter la fin de cette résidence numérique, le Cneai a invité Antoine Dufeu a une lecture publique de ces différents extraits publiés dans la newsletter depuis novembre 2020. }